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Dirigeant: le mal aimé du juge professionnel

Dirigeant: le mal aimé du juge professionnel

Publié le : 28/11/2016 28 novembre nov. 11 2016

Une comptabilité parfaitement tenue ne suffit pas à garantir le dirigeant d'une requalification par le juge des opérations comptables qu'elle constate

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L'état de cessation des paiements est défini par l’article L. 631-1 du code de commerce comme étant celui de l'entreprise qui ne peut plus faire face à son passif exigible avec son actif disponible.
 
Cependant, cette définition génère de multiples difficultés et suivant l'approche qui en sera faite, les éléments de nature à caractériser l’état de cessation des paiements pourront aisément être manipulés en fonction du résultat recherché.
 
Des dirigeants sociaux en font fréquemment la triste expérience, le contentieux donnant lieu à la détermination de l'état de cessation ayant généralement pour objectif d'engager leur responsabilité ou d’étendre la procédure collective à l'une de leurs autres structures.
 
Alors même que le dirigeant social peut être scrupuleusement honnête, qu’il abandonne certains de ses éléments d’actif, et qu’il prend soin de faire passer les écritures comptables nécessaires pour que les opérations puissent être parfaitement suivies, il encourt la critique des juridictions.
 
Ainsi un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de Cassation en date du 27 septembre 2016 (N° de pourvoi: 14-29278 publié au bulletin) laisse perplexe quant aux possibilités laissées aux dirigeants pour tenter de faire survivre leur entreprise lorsqu’elle rencontre des difficultés qu’ils estiment passagères. 
 
L’arrêt révèle que le dirigeant social d’une SARL en liquidation judiciaire était aussi le gérant d’une SCI propriétaire des lieux dans laquelle la SARL exploitait son activité et que ce dirigeant avait finalement supporté la charge du loyer dû par sa SARL à sa SCI, par le truchement des comptes courants d’associés.
 
Ces opérations avaient fait l’objet d’écritures comptables dont la sincérité n’a pas été remise en cause notamment par l’expert-comptable qui avait certifié les comptes.
 
La Cour de cassation a jugé que l'établissement d'une comptabilité certifiée et approuvée ne permet pas d'établir l'absence de confusion des patrimoines entre le bailleur et son locataire, dès lors qu'elle révèle l'existence de relations financières incompatibles avec des obligations contractuelles réciproques normales.
 
Une telle phrase est rédigée comme un attendu de principe puisqu'elle est détachée du contexte par le rédacteur de l'arrêt et qu'elle pourrait s'appliquer à d'autres situations de fait.
 
Elle traduit une évidente méfiance de la Cour de cassation à l'égard de l'expert-comptable, le dirigeant ne pouvant plus dès lors se fier à lui, notamment lorsqu'il veut, comme dans le cadre de l'arrêt cité, apporter lui-même les sommes nécessaires pour régler les loyers auxquels sa société ne peut pas faire face.
 
L'approbation des comptes par l'expert-comptable ne fait pas obstacle à une requalification des opérations comptables par le juge.
 
Mais surtout,  la Cour d’appel a qualifié de fictif le débit du compte courant.
 
Pourtant, il n’était pas reproché au dirigeant d’avoir un compte courant débiteur, ce qui implique qu’il avait pu effectivement régler le loyer à la place de la société par le débit de son compte courant. Et la cour de cassation paraissait considérer que la compensation en compte courant était un mode normal de paiement (Com 8 janvier 2002 N° de pourvoi: 99-11079 Publié au bulletin).
 
On aurait pu penser honorable de la part du dirigeant social de prendre ainsi en charge le paiement du loyer pour permettre à l'entreprise de continuer son activité.
 
Mais la Cour de Cassation estime dans ce même arrêt que le procédé utilisé pour éteindre la dette de la société X... envers la SCI n'est qu'un artifice comptable destiné à dissimuler l'abandon sans contrepartie, par la SCI, des loyers facturés et que cela permet de retenir l'existence de relations financières anormales caractérisant la confusion de patrimoine. La Cour d'appel avait elle-même jugé que "le procédé comptable" ne tendait qu'à retarder la déclaration de cessation des paiements de la SARL....
 
Le tribunal avait quant à lui admis que le paiement de la dette de loyer s'était opéré par compensation ou cession de créance.
 
L'arrêt semble reprocher l'absence de mouvement financier, alors que le principe même de la compensation implique une absence de mouvement précisément parce que le mécanisme de   la compensation rend inutile tout mouvement, la compensation en compte étant admise depuis toujours.
 
Il reste que celui qui s'était appauvri n'était ni la SARL ni la SCI mais le dirigeant. Et aucun des éléments de fait cités ne permet de déterminer en quoi le précédé était anormal, en quoi la compensation en compte courant était un artifice comptable ni en quoi le paiement était fictif.
 
Et pourtant cet arrêt est publié au bulletin de la Cour de cassation, les hauts magistrats ayant ainsi considérés que cette décision traduisait la doctrine actuelle de la Cour de cassation et qu’il convenait de lui donner toute la publicité requise.
 
Dès lors, on voit mal ce que peut faire le chef d'entreprise qui fait face à une situation difficile :
 
Ou bien il fait des apports d'une façon ou d'une autre et on lui dit qu'il a voulu cacher l'état de cessation des paiements comme dans l'arrêt cité mais aussi dans d'autres (voir aussi Com 17 mai 2011 N° de pourvoi: 10-30425)
 
Ou bien il ne fait pas d'apport, et on lui dit qu'il est fautif (Com 12 juillet 2016 N° de pourvoi: 14-23310). Plus exactement, il commet une faute de gestion s'il ne tente pas d'obtenir une augmentation de capital.
 
Ainsi le dirigeant est incité très clairement à rechercher une solution et à démontrer qu'il a effectivement recherché cette solution, mais à surtout ne pas la mettre en œuvre de crainte de se le voir reprocher.
 
Et en tout cas, il ne peut pas se croire protéger par sa comptabilité, même si elle est parfaitement tenue.

Vincent MOSQUET 
Avocat associé Lexavoué Normandie

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